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Citoyenneté : les droits des résidents restent limités en Ehpad

Auteur Raphaëlle Murignieux

Temps de lecture 4 min

Date de publication 16/09/2024

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C’est une enquête exceptionnelle qu’ont menée France Assos Santé et l’Inter-CVS 59 dans les Hauts-de-France : pendant six mois, ils sont allés à la rencontre de résidents d’Ehpad, y compris en unité protégée, pour recueillir leurs paroles, leurs ressentis de la démocratie en établissement. Si l’objectif, in fine, est de produire pour la fin de l’année un kit d’outils visant à « promouvoir la démocratie en Ehpad », cette première étape du projet s’avère particulièrement riche d’enseignements, sur la réalité de l’exercice de la citoyenneté des résidents.

La loi est formelle : en Ehpad ou non, sous mesure de protection ou non, un adulte âgé reste un citoyen comme les autres, qui doit pouvoir exercer ses droits.

Mais qu’en est-il en réalité ? Les résidents jouissent-ils de leur citoyenneté, sont-ils conscients qu’ils ont des droits ?

Pour le savoir, Angela Di Pastena, docteure en psychologie, Clément Bailleul, chargé de mission pour France Assos Santé, et Françoise Gobled, co-présidente de l’inter-CVS 59 ont rencontré six groupes de 5 à 9 résidents, vivant en établissement privé commercial ou associatif. Deux d’entre eux habitaient en unité protégée, réservées aux personnes atteintes de troubles cognitifs. En tout, 43 personnes ont pu s’exprimer, au cours de deux groupes de parole d’une heure.

Premier constat : ils sont pour la plupart mitigés quand il s’agit de dire s’ils se sentent en démocratie en Ehpad. La principale valeur qu’ils y attachent, c’est la liberté. Or ils constatent tous que leur liberté est limitée en Ehpad.

Pour ceux qui vivent en unité fermée, mais aussi pour les autres. Ils estiment en effet que leur liberté d’aller est venir est limitée au périmètre de l’établissement et de ses extérieurs. Certains doivent par exemple signer un document pour pouvoir sortir, ce qu’ils assimilent à une autorisation de sortie.

Ils évoquent aussi la liberté de faire leurs propres choix, de pouvoir autodéterminer le contenu de leur journée. Une liberté là aussi contrainte par l’institution. « On n’est quand même pas libre comme si on était chez soi », souligne Jacqueline. La question des horaires imposés, par exemple, est beaucoup revenue.

S’ils reconnaissent les contraintes et l’organisation propre à l’institution, France Assos Santé et l’Inter-CVS 59 plaident cependant pour la souplesse, pour s’adapter au rythme de chaque résident, selon son projet personnalisé.

« Nous soutenons aussi qu’une vigilance de tous les jours doit être gardée sur la façon dont les résidents sont considérés comme des personnes adultes qui, même si elles doivent se plier au fonctionnement de l’institution, peuvent en questionner les règles. C’est en effet pour nous un curseur pour mesurer la démocratie dans l’établissement », peut-on lire dans le rapport d’enquête.

Rupture de citoyenneté

« Quand on leur demande quels sont leurs droits au sein de l’établissement, ils commencent par citer tout ce qu’ils n’ont pas le droit de faire », poursuit Clément Bailleul. Un résident a par exemple expliqué que le personnel l’empêchait de porter assistance à ses pairs : il aurait voulu aider un résident à venir s’installer à table pour le déjeuner et s’était « fait engueuler ».

Ils regrettent également de ne pas être informé lors des décès d’autres résidents (droit à l’information), et pour la plupart, ne peuvent exercer leur droit de vote. Selon eux, il n’y a pas de proposition active de la part de l’établissement pour faciliter aux personnes d’aller voter, ils doivent donc s’organiser seuls.

« Cette question du droit de vote est importante pour les résidents puisque qu’ils sont nombreux à déclarer qu’ils exerçaient cette citoyenneté auparavant. Il y a donc une forme de rupture liée à leur entrée en Ehpad », commente le rapport.

Entrée en Ehpad qu’ils n’ont pour une grande majorité pas vraiment choisie : seule une des 43 personnes interrogées a emménagé de son plein gré. Pour tous les autres, c’était à l’initiative de proches, du tuteur, ou parce qu’ils pensaient qu’ils n’avaient pas d’autre choix.

Ils conviennent qu’ensuite ils sont libres de s’exprimer, mais ont l’impression que leur parole est rarement prise en considération. La direction décide, « on suit le mouvement ».

Ils aimeraient pourtant avoir leur mot à dire sur les repas, les activités, intergénérationnelles notamment, et les sorties.

Enfin, même s’ils sont mécontents, ils n’osent pas se plaindre de peur de passer pour des « râleurs ». Ils méconnaissent par ailleurs le rôle du conseil de la vie sociale, et parfois son existence.

Pourtant, les groupes de paroles ont été fort appréciés, le fait d’être entre résident rendant la parole plus libre.

Françoise Gobled juge ces temps indispensables, en complément des CVS, pour permettre à chacun de s’exprimer.

Il reste donc beaucoup à faire pour permettre aux résidents d’exercer leur citoyenneté en Ehpad. Tous les points d’attention soulevés par l’enquête doivent être réfléchis collectivement, en incluant les directions, les personnels, les résidents, les familles et les bénévoles, pointent France Assos Santé et l’Inter-CVS 59, pour espérer améliorer la démocratie en Ehpad.

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