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Vieillir en bonne santé
Bien vieillir (prendre soin de soi)
«Si les contes de Grimm fascinent encore incroyablement, c’est sans doute parce que, dans le décor convenu du merveilleux ils murmurent des vérités inébranlables » 2006 Olivier Py, auteur de théâtre et metteur en scène.
Tout a commencé, en septembre 1997, dans le cadre des actions du programme Culture et Hôpital, quand une conteuse, Véronique Aguilar, a franchi un jour la frontière de verre qui sépare et protège les patients de l’unité d’un service de long séjour.
Après un temps d’observation, elle a commencé à parler, à conter, et, tout doucement, les patients se sont rassemblés autour d’elle.
Quelque chose bougeait, quelque chose d’extraordinaire se passait. Elle a fait part aux soignants de ses observations, tellement ce qu’elle voyait dans les comportements des patients était neuf, exceptionnel et sans référence connue.
Il se passait des choses étonnantes : les personnes se remettaient à parler, à raconter leur propre histoire ou des recettes de cuisine. Ces ateliers réveillaient leurs capacités narratives et les aidaient à reconstruire un discours, alors qu’on croyait pour certains, qu’ils n’en avaient plus la capacité. On s’aperçut que ces ateliers apaisaient énormément les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer : les troubles du comportement diminuent de manière significative, ainsi que l'agressivité et de la dépression
Autre constat, ces ateliers améliorent la relation des soignants aux patients. Ils contribuent à aider les soignants à aller au-delà de leurs objectifs de soins, à entrer dans plus de compréhension humaine, à parler avec les patients, à interagir avec eux.
Le chemin fut long et périlleux avant que Véronique Aguilar ne puisse bâtir un projet de recherche pour comprendre et faire valider ses interventions conte comme efficace pour un public de personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer. Telle une héroïne de contes de fée affrontant les nombreux obstacles sur son chemin, elle finit par obtenir les financements pour monter une belle étude sur «Les effets des ateliers contes pour des personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer et troubles associés ».
Cette étude s’est déroulée entre 2007 et 2008 avec le concours d’Emmanuelle Saucourt, anthropologue à l’Université de Lyon2 et la supervision du Dr Louis Ploton, Professeur de Gérontologie à Lyon, pour la partie psycho-clinique.
Elle a porté sur 4 établissements du Languedoc Roussillon (Hôpitaux et maisons de retraite) regroupant 5 conteurs professionnels sur deux ans, avec les fonds de la CNSA, de la Fondation de France, la Fondation Médéric Alzheimer, l’OIDR, la DRAC et l’ARH du Languedoc Roussillon.
154 patients ont bénéficié des ateliers, et leur comportement a été observé par une double approche l’une anthropologique, l’autre psycho-sociale.(1).
Ainsi qu’une pratique innovante a été élaborée par l’association Confluences, porteuse de la recherche(2).
Comment expliquer tous les bienfaits du conte? Y aurait-il dans la structure même des contes quelque chose de magique ou d'ancestral ? Quelque chose d'unique, une dynamique particulière ? Comment les contes en ne demandant strictement rien à ceux qui les entendent, en les laissant rêvasser, peuvent-ils recréer une communauté d’écoute, peuvent-ils permettre une concentration commune, peuvent-ils recréer du lien ? Les appréciations des soignants, des référents ont été consigné dans le dossier d'Emmanuelle Saucourt, consultable sur Internet (3).
Dans un autre lieu, en Ile de France, en 2004, Luc Heїd, alors directeur d’EHPAD (Etablissement pour personnes âgées dépendantes), trouvant que les soirées du mois d’aout favorisaient la rêverie, eut l’idée d’animer, à 20h, une soirée conte de fée. Traditionnellement, c’est l’heure des veillées et les salariés, à l’exception de ceux de la nuit, ayant achevé leur service, il se sentait affranchi de la fonction d’autorité.
Près de 10 ans auparavant, trouvant son imaginaire sec comme une vieille éponge, il avait entrepris un cycle de développement personnel fondé sur les contes de fées, ces vieilles histoires qui racontent la métamorphose royale des héros ordinaires. Il y avait puisé une nouvelle créativité, aussi bien pour lui que pour sa fonction.
La première soirée conte eut lieu : ce fut un succès. Il y eut donc une suite et cela se poursuivit pendant quinze mois, à raison d’une heure de conte par semaine, en soirée. Mais d’où venait ce succès ? En général, quand un directeur parle une heure, on ne lui demande pas de recommencer. Cela venait des contes. Il se testa donc chez le coiffeur et là, même chose, les clients attendaient la fin du conte pour partir.
Il raconta son histoire au Pr Anne-Sophie Rigaud de l’Hôpital Broca qui lui proposa de l’évoquer à son staff. A nouveau, l’enchantement du conte amenait le sourire sur chaque visage. A la suite de quoi, une évaluation fut entreprise avec les patients de l’Hôpital de Jour.
Les observations concordent avec les précédentes : une amélioration sensible de l'humeur du groupe, une atténuation des signes d'anxiété et d'humeur dépressive. Parmi les appréciations verbales des participants : «C'est sympathique. J'ai l'impression que ça fait travailler la mémoire». «Cela me pousse à chercher des choses dans le dictionnaire. A renouveler». «C'est inhabituel, ça détend ,c'est stimulant.»
Les observations des aidants familiaux confirmaient ces appréciations (4). Pourtant l’évaluation du bien être des participants, l'augmentation de leur confiance en eux et leur motivation n'est actuellement pas mesurable.
Pourquoi ne pas essayer de transposer aux personnes âgées vulnérables ce que nos sociétés ont élaboré pour les enfants vulnérables ? Pendant trente ans, le conte a été utilisé par le Dr Pierre Lafforgue, Pédopsychiatre à Bordeaux, pour la prise en charge d’enfants autistes et psychotiques (5).
Ainsi, les observations concordantes des professionnels de gérontologie (5) qui évoquent les mêmes effets, nous conduisent à affirmer que le conte est un outil très précieux (non exclusif) de la sollicitation des personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer ou troubles apparentés. Sa mise en oeuvre est proposée par Confluences et Regard du Conte (6).
Comme le décrit HG Gadamer (7) lorsqu’on a fait l’expérience de l’expérience, on ne peut plus rester dans une simple posture de doute cartésien, il faut suivre la maxime de Kant : "Sapere Aude !" (Aie le courage de te servir de ton propre entendement !)
Faut-il encore prouver ?
Il faut faire place aux contes, ces histoires d’êtres humbles en chemin vers leur royaume. « On satisfait aux besoins, on écoute le désir » Françoise Dolto.
(1)"Conter en C.A.N.T.O.U. Étude sur des effets d'atelier de contes auprès de personnes institutionnalisées atteintes de maladie d'Alzheimer évoluée" E. Saucourt RFGG n°160 déc.2009
(2) Validation et protection de la démarche innovante (INPI, n° national 09681430) pour l’association Confluences.
(3) http://collectifconte.ish-lyon.cnrs.fr/ Conte en milieu protégé (Alzheimer)
(4) " Sollicitation psychoaffective et des ressources cognitives par les contes de fées pour les patients atteints de la maladie d’Alzheimer" M.de Sant’Anna RFGG n°149 nov. 2008
(5) voir également " Un atelier conte dans une institution pour personnes agées "; J-L.Sudres, C.Ros, RPPM oct.2004
(6) http://www.regard-du-conte.com
(7)HG Gadamer (1900-2001) philosophe allemand de l’herméneutique (l’art de comprendre) dans « L’avenir européen des sciences de l’esprit » in L’héritage de l’Europe 1985
En savoir plus sur l'Association "Regards du conte" et ses formations
J'avais expérimenté avec bonheur les ateliers contes : un moment de gratuité et d'humour (j'aime bien mimer les personnages) qui permettaient aux plus timides d'oser s'exprimer.
Je travaille actuellement à intégrer le conte dans mes ateliers mémoire, pour sortir de la performance à tout prix et de la pression que cela peut engendrer sur les personnes. J'observe les visages plus détendus à l'issue de l'atelier…