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Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple par Didier Eribon chez Flammarion
Le nouveau livre de Didier Eribon, philosophe, sociologue, fait l'effet d'une bombe sur l'impensé de la vieillesse, de la fin de la vie, de la mort en Ehpad. De la Grande librairie sur France 5 à Télérama en passant par les Inrocks ou France Inter, Didier Eribon présente son livre qui raconte la vie, la vieillesse et la mort de sa mère qui s'est laissé mourir sept semaines après son entrée dans un Ehpad public près de Reims. Son fils, ses fils n'ont rien vu venir, mais touché du doigt les situations dénoncées dans des médias spécialisés comme agevillage.com. Les conditions de la mort de sa mère sont comme une révélation pour cet intellectuel engagé. Son ouvrage se veut un témoignage, un coup de projecteur sur une réalité à affronter, à repenser, à prendre à bras le corps. Il porte la parole des invisibles et veut faire de la plainte individuelle de sa mère, une plainte politique.
Dépasser la honte, les hontes de ne pas avoir su, pu…
Il y a beaucoup de hontes dans et autour de la vie, la vieillesse et la mort de la mère de Didier Eribon, décédée il y a quelques années. L'auteur a pris le temps d'analyser les faits qu'il a traversés avec elle pour proposer une analyse et une réflexion profonde sur les enjeux de l'avancée en âge.
Avec talent, dans un style limpide et direct, Didier Eribon nous emmène là où nous détournons les yeux : face à nos peurs et surtout nos hontes de ne pas affronter ces réalités pour les transformer.
La honte est un des mots clés de l'ouvrage.
Honte sociale du côté de la mère : enfant abandonnée, tenue à sa classe ouvrière, mal mariée, malheureuse toute sa vie, terriblement raciste, mais aussi dotée d'une énergie incroyable…
Honte sociale de l'auteur : homosexuel rejeté par son milieu, par la fratrie de quatre fils, rejeté aussi une fois devenu professeur, intellectuel, écrivain, transfuge de classe.
Hontes des fils, devenus aidants qui n'ont pas su, pas pu trouver d'autres solutions financièrement accessibles à la fin de la vie de leur mère. L'auteur a découvert l'indigence des moyens de l'Ehpad public sous-doté (à Fismes près de Reims) mais la lecture d'ouvrage comme Les Fossoyeurs de Victor Castanet l'ont sidéré sur la violence et les maltraitances que subissent aussi les habitants d'Ehpad privés commerciaux aux tarifs démesurés.
Comme de nombreux enfants, Didier Eribon a honte d'avoir affirmé "Tu verras, tu seras bien" en quittant sa mère installée depuis deux jours. Il a honte de n'avoir pas pris le temps de venir la voir plus souvent dans cette période critique des deux mois après l'entrée en Ehpad, comme lui avait pourtant suggéré la médecin de l'établissement à propos des risques de syndrome de glissement.
Il a honte de ne pas avoir pris conscience du choc émotionnel que représente l'entrée en Ehpad, ni des conditions de vie proposées. A savoir : un univers rétréci au lit avec les barrières relevées (NDLR : vraie contention), pas assez de personnels pour une douche tous les jours, car il fallait deux aides-soignants masculins pour l'aider (NDLR : vraiment ?)
Ce livre est un témoignage cru et éclairant sur la manière dont notre société traite ses citoyens les plus âgés, en situation de vulnérabilité. Elle les abandonne autant qu'elle abandonne les professionnels en première ligne qui les accompagnent.
Quand l’humanité est mise à mal
Le philosophe et sociologue ne fait pas que décrire une situation terrible. Il convoque les écrivains, les artistes, les philosophes pour éclairer les enjeux, les impensés, l'immoralité de la situation des vieillards en France.
Notamment dans ces institutions où le rapport au temps est imposé, figé, où l'espace se rétrécit jusqu'à la contention dans le lit avec les deux barrières levées, quand les liens avec les autres humains sont si limités…
Sa mère a résisté au début. Elle se débattait et "se battait avec les infirmières (...) avec l'énergie du désespoir" analyse l'auteur. Elle laissait de nombreux messages à son fils : "Ils me maltraitent. Pourquoi me maltraitent-ils ainsi, je n'ai rien fait". En souhaitant des réponses, Didier Eribon a découvert les manques cruels de moyens de ces structures.
Convaincu de l'énergie de sa mère, elle qui était retombée amoureuse à 80 ans et était sortie d'une opération chirurgicale périlleuse par la présence de cet amoureux, Didier Eribon n'a pas imaginé cette fin si rapide. Mais en quelques semaines, la vieille dame a arrêté de s'alimenter, de boire... elle a glissé jusqu'à la mort.
Porter la parole des invisibles : transformer la plainte individuelle de sa mère en plainte polique
Convoquant son maître Jean-Paul Sartre et bien sûr l'auteure de La Vieillesse, Simone de Beauvoir, mais aussi Norbert Elias, Brecht, Soljenitsyne, Spinoza, Goffman, Bichat ("La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort")... Didier Eribon analyse les pièges, les manques, l'absence de parole, de voix, de visibilité des grands vieillards eux-mêmes.
Il invite les artistes, les écrivains, à porter la parole de ces invisibles, porter un regard sur ces "impensés impensables", qui n'emploient pas le "nous" collectif contrairement à d'autres revendications sociales (ouvriers), sociétales (sexes, malades...).
L'enjeu reste pour l'auteur de faire entendre leur voix, pour favoriser une prise de conscience des moyens, des organisations, des arbitrages que la société devra faire pour aider à vieillir dignement jusqu'au bout.
Vie, vieillesse et mort d'une femme du peuple
Didier Eribon
Editions Flammation
331 pages - 21 euros
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