Fais de ta vie un feu joyeux ! Gilberte, 85 ans

Opération menée par la Fondation Nationale de Gérontologie entre 2001 et 2004, « Lettres à… » répond à l’attente de ses concepteurs, à savoir donner la possibilité de mettre des mots sur ce qui n’a pu être dit jusque-là, que cela se rapporte à un moment de la vie personnelle du signataire ou que l’écrit mette en scène une situation imaginée par lui ou tirée de son environnement.

Au fil des années, des centaines de lettres écrites par des résidents d’Ehpad, des personnes âgées accompagnées par un service d’aide à domicile ont été écrites et reçues. Une centaine de ces courriers ont été publiés en 2005 aux éditions Tallandier, sous le titre C’était hier et c’était demain.

La rédaction vous propose aujourd’hui de relire certaines de ces lettres, originales, poétiques, drôles, qui témoignent que même très vieux on a une opinion sur la marche et l’évolution du monde, que même vieux on peut rester en prise avec son temps, qu’on est en position de donner et de recevoir et d’affirmer.

Aujourd’hui, c’est Gilberte, 85 ans, qui prend la plume.

Lettre à Flore, ma petite-fille de 23 ans

Ma chérie,

Tu es toujours sérieuse comme un pape, trop sérieux alors que Dieu t’a dotée d’un sourire et d’un rire en cascades capables de faire fondre les cœurs les plus endurcis.

C’est sans doute la raison pour laquelle, lors de l’une de mes nombreuses nuits blanches, s’est inscrit spontanément sur l’écran noir de ma solitude le poème suivant que je te dédie :

Il faut que dans notre jeunesse
Nos rires fusent à tous vents.
Nous en sentirons la caresse
Quand nos cheveux deviendront blancs.
Que j’ai regret des aubes claires
Où je me levais d’un seul bond.
Comme je me sentais légère
Aux premiers sons d’un violon !
Maintenant dans mes os se glace
L’eau du temps qui, hélas, s’enfuit.
Quelle est cette femme en la glace
Dont la beauté s’évanouit ?..
Je te donne pour héritage,
Petite fille aux si beaux yeux,
Conseil de n’être pas trop sage.
Fais de ta vie un feu joyeux !

Ce conseil n’est pas du tout amoral, car « faire de sa vie un feu joyeux », c’est semer de la joie autour de soi, et c’est, lors des vicissitudes parfois pénibles de l’existence, faire preuve de courage, de ténacité et de foi.

Tout cela, mon cœur de grand-mère te le souhaite, ma chérie.

Mamie