Comprendre les fragilités
Projets de loi « fin de vie » et « autonomie » l'un est plus audible que l'autre. Pourquoi ?
L’une semble tout résoudre : le projet de loi sur la "fin de vie".
L’autre parle d'un sujet qui semble plus tabou que la mort : l'aide à l'autonomie, "dépendance".
On aligne facilement les chiffres pour parler de cette mal-nommée dépendance. "30 milliards", "tsunami gériatrique"... comment ne pas glacer d'effroi nos concitoyens perdus dans cette avalanche de mauvaises nouvelles ?
Or les vrais chiffres de la dépendance, comme l'explique le collectif "une société pour tous les âges" montrent que l'argent est déjà mobilisé, dans les comptes de l'assurance maladie (13 milliards), pour l'aide à l'autonomie (17 milliards). Certes les besoins ne sont pas suffisamment couverts. Il manque de professionnels auprès des personnes fragilisées, le coûts des services et des établissements est trop lourd pour les personnes concernées et leurs proches. Les nouveaux besoins de financements sont évalués entre 5 et 8 milliards d'euros. C'est beaucoup ? C'est insupportable ?
Or l'argent est aujourd'hui mal dépensé.
L'argent public est compté mais l'APA (allocation personnalisé d'autonomie) est distribuée via une grille Aggir dont les professionnels connaissent le faiblesses. Chaque financeur (conseil général) s'invente alors son référentiel pour objectiver le besoin, le plan d'aides : en PACA le RAI, en Dordogne le Smaf, ailleurs le GEVA A. Pas sérieux.
L'argent public est précieux mais les forfaits distribués se heurtent au nom du libre-choix au maquis des services d'aide, de soins, de technologies, d'établissements. Six "choix" pour une prestation de toilette. Pas simple.
L'argent public est rare mais on sait que plus de 2 milliards d'euros sont dépensés inutilement dans des médicaments, des hospitalisations inutiles. Sans parler de la Prévention qui est rentable à condition qu'on y investisse. Pas suivi, ni incitatif.
L'argent public doit être dépensé au mieux mais qui contrôle l'effectivité des aides ? La qualité des services proposés ? Qui mesure l'épuisement des professionnels ? L'équisement des aidants familiaux ? Pourtant nécessaire.
L'argent public doit respecter les droits fondamentaux des personnes mais qui se soucient des discriminations liées à l'âge ? Le défenseur des droits veut renforcer la protection des personnes âgées. En aura-t-il les moyens ? C'est une bonne question !
On sait pourtant ce qu'il faudrait faire. Les recommandations d'une vingtaine de rapports depuis 2005 (y compris le tout nouveau bilan du plan Alzheimer 2008-2012) convergent vers 3 points :
- déployer sur les territoires des guichets d'entrée lisibles, identifiés, qui accueillent, informent, aident à évaluer la situation de chaque personne : ses moyens financiers, sa santé, son logement, sa vie sociale; lui propose des actions motivantes de prévention et d'insertion sociale; selon les signaux d'alerte évalue la situation à partir d'un référentiel, d'une grille complète, validée; oriente vers des diagnostics ciblés (maladies neuro-dégérantives); proposent et orchestrent les plans d'aides financières, les services d'aides, l'adadption du logement selon chaque besoin.
Bref : un point d'ancrage, rassurant, stimulant, valorisant les capacités des personnes et efficace : un véritable pilote de la prévention, de l'aide (et des soins) de proximité. On en connaît déjà : des Clic de niveau 3, des MAIA (trop spécialisée pour malades Alzheimer), des réseaux gérontologiques, des "maisons de l'autonomie"...
- déployer une filière de prendre soin labellisée : aides et soins à domicile, diagnostic et adaptation habitat, gamme de logements, services de prévention et d'aide à l'insertion sociale, établissements d'accueil garantissant un prendre soin de qualité jusqu'au bout de la vie (ex. label Humanitude), solutions de répits pour les aidants, ateliers d'informations... Cette filière est source d'emplois (350 000 selon l'INSEE d'ici 15 ans), source de dynamisme comme en témoigne l'engouement pour la Silver Economie ou économie de l'âge.
- solvabiliser la compensation par une prestation financière renforcée (meilleure que l'actuelle APA), financée par la solidarité nationale (car la seule assurance dépendance même obligatoire à partir de 50 ans ne sera pas suffisante), s'appuyant sur un référentiel d'évaluation national, standardisé, complet, avec la possibilité de complémentaires : mutuelles/assurances (comme pour l'assurance maladie)
On le voit : avant de parler financement, il faut parler "gouvernance" de l'aide et des soins. Sans outils, sans contrôles, sans filière labélisée : pas de pilotes, pas de langages communs et des crédits qui sont distribués presque "à fonds perdus", alors que nous n'en avons pas (plus ?) les moyens !
Alors pourquoi ne le fait-on pas ?
Parce qu'il est impossible de parler "aide à l'autonomie", "dépendance à l'autre" dans une société jeuniste et individualiste ?
Parce que nous nous fixons sur une vision essentiellement comptable de la situation (qui bloque tout investissement) ?
Parce qu'il faudrait désigner un pilote de proximité (et donc frustrer ceux qui ne le seront pas), un outil d'évaluation (et un seul), une caisse nationale (et des antennes régionales), des recettes fléchées et non détournées ?
Parce que labelliser veut aussi dire informer, former et contrôler ?
Parce que les aidants professionnels ou familiaux ne crient pas assez fort leur épuisement ?
Parce que vieillir en ayant besoin d'aides est un tabou pire que la mort ?
Et si nous ne faisons pas...
Alors on comprendra encore mieux pourquoi le projet de loi sur la "fin de vie" (sans aller jusque l'euthanasie pour le CCNE) a plus d'audience que l'aide à l'autonomie.
Mais ce sera sans compter sur l'énergie des "soixantuitards" qui vieillissent, sur le militantisme des acteurs investis, des professionnels, des experts, des aidants, des personnes directement concernées par leur vieillissement, du collectif "Une société pour tous les âges", de l'observatoire de l'âgisme...
Et d'agevillage.com !
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