Les Argentins traitent la dépression et les troubles psychiatriques par le Tango
La danse comme outil de retour au monde et à l’autre
L'apprentissage du tango, où le rapport à l'autre est essentiel, est utilisé dans des hôpitaux argentins comme thérapie permettant à des malades mentaux et à des retraités de renouer avec le monde.
"C'est le fait de serrer l'autre dans ses bras qui rend le tango si spécial, créant une sorte de rapport amoureux", dit Silvina Perl, coordinatrice de l'Atelier de tango de l'Hôpital Psychiatrique Borda, l'un des établissements de Buenos Aires qui a adopté comme thérapie la danse du Rio de la Plata.
Le tango, né à la fin de XIXème siècle dans les bas fonds de Buenos Aires et Montevideo et déclaré en 2009 "Patrimoine de l'Humanité" par l'Unesco, aide à mieux soigner les malades, explique cette psychologue.
"Le tango, bien entendu, ne guérit pas à lui tout seul", reconnaît-elle. "Mais pendant une heure de cours, les patients n'ont pas d'hallucinations: ils sont concentrés, occupés à bien faire les pas de danse".
Le "Borda" est un hôpital psychiatrique pour hommes, mais des femmes bénévoles aident Silvina Perl à apprendre cette danse difficile à une vingtaine de patients, qui avancent timidement, faisant leurs premiers pas dans une atmosphère calme et conviviale.
L'Atelier de tango de l'hôpital public Ramos Mejia de Buenos Aires emploie la même technique pour un public différent: le troisième âge.
Il s'agit cette fois de combattre la dépression, la sensation de vide, qui menacent ceux qui ont pris leur retraite après une vie extrêmement active. "Le désœuvrement guette les gens qui viennent de prendre leur retraite: le tango leur permet de retrouver immédiatement une vie sociale active", explique Alba Balboni, 67 ans, responsable de l'atelier, auquel participent également des jeunes.
La phrase "il faut être deux pour danser le tango", utilisée pour expliquer que dans tout conflit les responsabilités sont souvent partagées, semble être la clé de l'effet thérapeutique de l'Atelier de tango de l'Hôpital Borda. "On traite la psychose à l'aide du tango, car cette danse constitue un langage qui contraint le malade à établir un rapport avec l'autre, alors que l'autre n'existe justement pas dans son monde", souligne Silvina Perl.
"Il n'y a pas de tango sans l'autre et il n'y a pas de danse sans coordination", fait-elle valoir. "L'autre est absolument nécessaire pour danser, tout comme les règles, les pas, la figure", dit-elle. C'est surprenant de voir avec quel naturel ces malades, au lieu de rester dans leur monde, vont sou-dain vers l'autre, le recherchent. Pour pouvoir danser, ils semblent s'ouvrir au monde qui les entoure.
A l'Hôpital Ramos Mejia, la salle "Carlos Gardel", baptisée du nom d'un célèbre compositeur de tango du début du XXe siècle, est un oasis de convivialité au bout d'un établissement où tout le monde s'agite dans des couloirs pleins à craquer: malades, médecins et infirmiers.
"Le tango est magique pour les personnes âgées", dit Alba Balboni, qui a vécu 33 ans aux Etats-Unis et demeure à l'Atelier de tango très attentive aux nouveaux venus. "Cette magie est d'abord dans le fait de serrer l'autre dans ses bras", ajoute-t-elle. L'un des élèves les plus récents, Federico Tressero, 65 ans, semble déjà entièrement gagné par cette magie. "Nous nous habituons à serrer l'autre dans nos bras", dit-il. "Dans les Académies de tango, on met l'accent sur la chorégraphie, alors que nous, nous privilégions le contact".
Voir le reportage d'afptv