Bien vieillir (prendre soin de soi)
Avez-vous bien arrosé Mémé ?
Le traumatisme des 14 802 morts de la canicule de 2003 est tel que l'épisode caniculaire de ces derniers jours pousse les médias, les acteurs publics, nationaux et locaux, à des messages, à des communications, dans un ton et des regards apitoyés qui m'interrogent.
D'un côté "Tout va bien" estime Marisol Touraine. La ministre de la santé a retenu la leçon qui a couté sa place à Jean-François Mattei. Même en congés, elle se veut connectée avec les acteurs de terrain, informée en temps réel sur l'évolution de la situation, prête à mobiliser la "force publique" (plan canicule). Selon les dernières communications : "Les maisons de retraite ont reçu les consignes. Les hôpitaux sont prêts et n'enregistrent pas d'augmentation ingérable des demandes".
Comme tous les ministres de la santé, de la solidarité qui l'ont précédée, saluons ces milliers de professionnels, bénévoles, proches qui prennent soin chaque jour (et donc aussi au mois d'août), de plus de 600 000 personnes très âgées, très fragiles.
Mais écoutons aussi le désormais célèbre Patrice Pelloux qui continue d'alerter sur le manque de lits disponibles en amont et à la sortie des services d'urgences. Ecoutons ces médecins girondins, comme les Aînés ruraux, qui appellent à supprimer les dépassements d'honoraire . La difficulté d'accès au soins réduit les personnes les moins favorisées socialement à avoir recours aux urgences.
Les maisons de retraite ont certes reçu les directives des plans canicule au regard des pathologies des personnes accueillies, des crédits pour rafraichir et climatiser des salles d'accueil. Mais les représentants des professionnels, des associations de familles, pointent le manque cruel de personnel formé, compétent et disponible auprès des résidents de plus en plus fragiles. "Un fond de 14 millions d'euros est dédié aux besoins en renforts de personnel", a rappelé vendredi dernier la ministre chargée des personnes âgées, Michèle Delaunay. Encore faut-il justifier de ces demandes de crédits et trouver ce personnel, en plein WE du 15 août, formé et motivé.
Les chaines de télévision ont choisi de nous passer en boucle des images de soignants, d'animateurs, de personnels de service, qui distribuent très professionnellement tant à domicile qu'en établissements, des verres d'eau (aromatisée, gélifiée ou pas), surveillent la prise des boissons car les vieilles personnes perdent la sensation de soif. On voit peu de regards, on entend peu de mots échangés. Le spectateur sent qu'il faut aller vite, être efficace. Les reportages nous donnent à voir des vieilles personnes qui ne sont plus que des corps fragiles, à hydrater coute que coute. Sans parler de ces paroles maladroites : "Il faut boire Mamie", "c'est pour votre bien Mémé" qui sont gardées au montage ... Est-ce vraiment l'image que l'on veut donner de ces métiers ? Où est la notion de "projet de vie" de la personne fragilisée ?
"Rien ne remplacera la démarche de proximité » (comme prendre des nouvelles…)" martèle Michèle Delaunay.
Les familles, pointées du doigt par les politiques en 2003, ont été largement dédouanées depuis. Les mairies ont compris que l'on ne pouvait compter uniquement sur les proches, sur les voisins. Ils ont eux-aussi leur vie, leurs contraintes, leurs besoins de congés. Les collectivités locales ont depuis déployé des dispositifs de repérage des personnes fragilisées et organisé des systèmes d'alerte, d'appels réguliers, voire de visites à domicile (au point que cela a suscité chez certains quelques idées d'arnaque).
Mais peu de médias relaient les 15 000 postes de professionnels qui ont disparu en 2011 tant dans les services à domicile (en crise financière), qu'en établissement ("convergence tarifaire"), selon les organisation professionnelles (Ad-Pa notamment).
Une société qui s'urbanise, qui pousse les familles à changer de lieu de résidence (pour trouver du travail), qui vit une crise économique et qui vieillit, doit s'adapter, se remettre en question, expérimenter de nouveaux modes d'accompagnement. On voit bien la nécessité de compter sur la solidarité spontanée, les initiatives locales mais aussi d'accompagner la professionnalisation des acteurs.
Ces vielles personnes étaient invisibles voire oubliées en 2003. Aujourd'hui on les voit un peu plus. A nous de faire évoluer notre regard et éviter de ne les voir que comme des plantes qu'il faut arroser chaque jour.
Comme nous tous, elles vivent, pensent, pleurent, rient... Certes, elles sont soumises à des épisodes dépressifs (voire pire), mais elles nous montrent qu'elles peuvent aussi avoir envie de se remarier à 85 ans.
Des médias grand public comme des artistes commencent à leur donner la parole, à bouger les lignes.
Et alors, les vieilles personnes n'hésitent pas à donner leurs conseils pour lutter contre la canicule, à tout âge. Elles en ont vu d'autres dans leur vie. Beaucoup n'ont pas envie de ces regards mouillés, limite condescendants.
Et même si "le temps ne fait rien à l'affaire" comme disait Brassens, leur expérience, leur vécu (comme ce marocain vieux de 124 ans), leur mémoire, leur humour, leur philosophie ... sont précieuses à toutes les générations (voir l'idée de concours cette semaine).
Le vieillissement interroge les solidarités de proximité et ceci peut-être bénéfique, dynamique pour le tissu social. Des situations de crise comme une canicule doivent mobiliser, à tous les niveaux, pour toutes les citoyens, les personnes fragilisées, ayant besoin d'aides dans la vie quotidienne, quel que soit leur âge, leur situation sociale.
Tout est dans le regard que l'on porte sur ces personnes.
Et il faut aussi admettre que des questions financières surgissent, ne serait-ce que pour professionnaliser la compensation de leurs fragilités, leurs incapacités, leurs handicaps, pour vraiment valoriser les métiers de l'aide, de l'accompagnement, du soin.
Il faut oser en parler et trouver des solutions, sans tarder. Michèle Delaunay nous promet une loi, nous l'attendons.
Car, canicule ou pas, que veut-on pour les vieux aujourd'hui, et donc pour nous demain ?
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