Comprendre les fragilités
Amour malade : Catherine Laborde et son mari racontent
Quand la maladie à corps de Lévy déclenche des idées inavouables
Après avoir témoigné dans son livre Trembler, Catherine Laborde et son mari Thomas Stern abordent à deux voix les sujets tabous autour de la terrible et incurable maladie à corps de Lewy. "Quand aimer devient aider", les risques de dérapages sont réels. La haine est sous-jacente, mais "elle est la vertu des lâches", estime Thomas Stern. "Le courage ici est de ne pas fuir, d'encaisser". Combien de libertés restent possibles ? questionnent les auteurs (c'est justement le thème de notre colloque annuel Agevillage/Humanitude sur les approches non médicamenteuses, accessible en ligne jusqu'au 8 janvier prochain).
Oser parler librement de pulsions taboues
Peurs, solitudes, désespoirs, violence des hallucinations notamment la nuit, désorientation qui trouble tout le monde (notamment les invités)... Le livre ose aborder "le profond désir de meurtre qui travaille soutairement l'aidant" (page 155). Vers un deuil blanc et des tensions ressenties par la personne malade, démunie : "Pourquoi j'habite une solitude glacée dont je ne peux me débarrasser" interroge Catherine Laborde.
L'enjeu est alors de savoir mettre des mots sur cette violence, sur cette "expérience limite où l'amour et la haine se transforment l'une en l'autre" constate Thomas Stern, sur ce double-confinement avec l'autre et en soi, sur cette maladie maudite qui emprisonne. "Et puis peu à peu, quelque chose se déchire à nouveau, on dirait que le ciel s'éclaircit (...) Oui, le prince est de retour" sourit Catherine Laborde (page 52).
L'empire de soi, sur soi, face aux barbares
La littérature aide le couple qui se taquine, se cherche, se répond de chapitre en chapitre. Thomas Stern plonge dans ses livres de philosophie, dans la lecture des empereurs stoïciens comme Marc Aurèle pour tenter comme ce dernier de rester "empereur de son âme, de sa vie", face aux barbares : face à l'aimée qui devient une autre la nuit (hallucinations, cris, insultes, coups), face à la maladie qui rend étrangers l'aidé et l'aidant, l'un à l'autre...
L'aidant veut ici faire taire ses défauts, son envie de fuir. Il se bat, protège le génie intérieur du couple, l'amour toujours présent : "Il n'y a que toi. Il n'y aura rien d'autre".
Le seul espoir : les étreintes dans la nuit amoureuse
Subjugué par la gravure de Munch Vers la forêt, le couple tient, dans une étreinte amoureuse fragile mais vivante, présente. Comme la météo, "seul l'imprévisible rend la vie supportable", estime Thomas Stern (page 113).
Quand la fille de Thomas vient se confiner chez eux, Catherine Laborde raconte "Elle me murmure à l'oreille : "Il ne faut pas pleurer, il ne faut pas". Elle nous a apporté son humanité et sa grâce. Je gardais le souvenir d'une petite fille ravissante. Je découvrais une jeune femme, porteuse de paix et de joie. Un espoir au milieu du désastre".
Reste que comme dans Amour (le film d'Haneke plusieures fois cité dans le livre), on sent ce couple bien seul pour faire face aux symptômes de la maladie.
Qu'attend notre société pour tisser un réseau d'aides professionnelles compétentes, rassurantes, financées ?
Faudra-t-il de nouvelles fins tragiques comme dans le film d'Haneke ?
Amour malade
Catherine Laborde et Thomas Stern
Editions Plon
272 pages - 18,90 euros