Question aux experts : le syndrome de Diogène, par le Dr Bernard Pradines (partie 4)
Qui alerte ?
Ce sont souvent les travailleurs sociaux qui sont alertés par le signalement d’une situation considérée comme inadmissible par son entourage, la personne concernée ne faisant pas appel spontanément, par définition, à une ressource médicale.Toutefois, dans l’étude parisienne menée dans le XVème arrondissement en 2006 et 2007, ce sont les médecins qui étaient les premiers sollicités en fréquence1.
Deux personnes sur 10 000 seraient touchées. En extrapolant de manière imprudente à toute la population de notre pays, on pourrait estimer le nombre de « Français Diogènes » à plus de 13 000.
Comment accompagner ces patients ?
Le premier impératif est de les approcher. Plus facile à dire qu’à faire. La pression du voisinage risque d’entraîner des attitudes éthiquement discutables.
En effet, le monde professionnel de la santé est d’abord coutumier de demandes qui émanent de la personne qui requiert des soins. Toute contrainte pourrait fermer le dialogue.
Pire, elle serait à haut risque d’entraîner le décès de celui qu’on voulait sauver. En effet, les études confirment l’engagement du pronostic vital. Bien que variable, la mortalité peut atteindre 49 % à deux ans2.
Souvent recluse depuis longtemps, la personne concernée ne souhaitera voir quiconque en dehors de celle ou de celui, souvent unique, qui assure sa survie précaire.
L’approche sera donc progressive et peut revêtir des aspects pittoresques tels que parler au travers d’une porte fermée ou au téléphone quand ce dernier n’a pas été suspendu par les services afférents.
Les buts sont alors multiples3 : d’abord l’acceptation d’une aide à domicile puis la protection juridique, l’évacuation des déchets éventuels, la remise en état des lieux. Le tout complété par une hospitalisation rendue le plus souvent nécessaire pour bilan.
Les limites de l’acceptation ou plutôt celles du refus, sont celles de la mise en danger d’autrui. Eternel dilemme entre sécurité et liberté. En établissement comme à domicile, c’est une perpétuelle navigation entre normes culturelles hygiénistes, tolérance d’autrui4 et respect revendiqué de l’autonomie individuelle mais souvent mis à mal.
Un peu de modestie non feinte : nous ne savons pas encore tout du syndrome de Diogène. Ainsi, une étude récente5 publiée aux Etats-Unis retrouve un pourcentage élevé (72 %) de personnes âgées obèses ou en surcharge pondérale parmi celles qui sont en situation d’auto-négligence : cause ou conséquence ?
En conclusion
Le syndrome de Diogène va-t-il avoir un bel avenir ? Bien possible malgré le fait qu’il dérange tant il est générateur de honte et de culpabilité.
L’isolement s’accroît régulièrement dans notre pays, en particulier chez les personnes âgées6. Les pathologies neurodégénératives, loin de connaître des traitements curatifs vraiment efficaces, croissent en nombre du fait des évolutions démographiques. Peut-être aussi notre société de consommation, avide d’accumulation, porte-t-elle une part de responsabilité7 ?
Il importe d’analyser au plus près ces situations et de chercher à y remédier afin d’aider nos prochains dans cette forme de négation du « vivre ensemble ». Le syndrome de Diogène est un drame collectif autant qu’individuel. Aurait-il le mérite de contribuer à révéler nos capacités pluridisciplinaires, sociales, concrètes, à nous montrer attentifs et solidaires envers autrui ?
Pour en savoir plus :
DVD Les syndromes de Diogène par l'AfarSources
1 Hugonot-Diener.2 Roberge R. F. Le syndrome de Diogène. Une entité gériatrique. Can Fam Physician. 1998 Apr; 44: 812–817.
3 Wong C. Le syndrome de Diogène : description clinique et conduite à tenir. NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie. Volume 13, Issue 73, February 2013, Pages 51–60.
4 Reyes-Ortiz CA. Neglect and self-neglect of the elderly in Long-Term care. Annals of Long-Term Care. Volume 9, number 2, February 2001.
5 Lee JL Md Ms, Burnett J PhD, Dyer CB Md. Frailty in self-neglecting older adults: A secondary analysis. J Elder Abuse Negl. 2016 May 6:1-11.
6 A titre indicatif, d’après l’INSEE, 62,2 % des femmes de 80 ans et plus vivaient seules en 2012 en France
7 Id. 2