Bien vieillir (prendre soin de soi)
J'ai couru La Parisienne avec Claude, 86 ans
Dimanche dernier avait lieu La Parisienne : la course féminine de 6,7 km autour de la Tour Eiffel. Elle a mobilisé cette année quelques 35 000 participantes de 16 à 93 ans.
Un groupe privé de maisons de retraite avait souhaité organiser à cette occasion une opération de "cohésion d'équipe" (team Building). Près de 90 salariés (agents de service, aides-soignants, infirmières, directrice, secrétaires, médecins) se sont mobilisées. Elles ont proposé à des résidentes de participer à la course avec elles. Devant leur motivation et leur envie de partager cet exercice sportif poussant à se dépasser, plusieurs résidentes de 65 à 93 ans ont accepté de les accompagner.
La presse avait été alertée de cette participation de nonagénaires à La Parisienne et des médias ont fait part à l'organisateur de la course des doutes qu'ils avaient quant au consentemennt des résidentes. Certaines auraient affirmé qu'elles ne voulaient pas courir. Vigilance donc, même si les inscriptions avaient été validées de longue date, avec des certificats médicaux en bonne et due forme pour ces participantes nées avant 1928.
Une des résidentes, Marie-Thérèse Guichon, 65 ans, avait même choisi de partir "comme toutes les autres" avec son dossard 38338. Les autres résidentes, plus fragilisées, étaient en fauteuil roulant, accompagnées des salariés, souriantes, très motivées, au départ handisport, à 9H30 précises.
Et elles sont parties, toutes debout... avant de se rasseoir dans leurs fauteuils, fatiguées sans doute par le brouhaha de ces courses à ciel ouvert très bruyantes en raison des orchestres de musique vivante qui accompagnent les coureuses.
Après une première côte bien "cassante", j'ai proposé à une équipe de prendre le relais et de pousser Claude Pariset, 86 ans, pour rattraper la médecin coordonnateur et son sac d'urgence.
Nous sommes restées ensemble toute la course. Claude me montrant l'immeuble où elle avait vécu avenue Bosquet et où elle était fière d'avoir mis au monde trois de ses quatre enfants. Elle me racontait sa vie, sa formation d'infirmière, l'éducation de ses enfants dans la Sarthe. Nous étions saluées de toutes parts. De nombreuses participantes m'ont proposé de prendre le relais.
Claude m'a aussi aidée tout au long des 6,7 km de la course en descendant par exemple de son fauteuil pour grimper sur les trottoirs plus lisses que la chaussée. Je la prévenais quand nous allions entrer dans un tunnel transformé en boite de nuit. Nous commentions ces "Allez mamie" elle qui est quinze fois grand-mère. "Comment le prendrais-je si je ne l'étais pas ?", me dit-elle, "Il vaut mieux en rire vous savez". La course s'est déroulée sans encombre et 54 minutes plus tard, nous nous sommes arrêtées avant la ligne d'arrivée pour que Claude puisse la franchir debout !
Certes Claude pouvait parfois être désorientée par le vacarme ambiant, les interpellations multiples, mais j'ai le sentiment qu'elle a passé un bon moment. Elle a fait plaisir aux équipes qui l'accompagnent tous les jours dans sa maison de retraite mais elle s'est aussi fait plaisir, de mon point de vue.
Les uns ne pourront y voir qu'un coup de communication réussi d'un groupe commercial de maisons de retraite, les autres pourront réfléchir à cette notion complexe du "consentement" des personnes âgées quand elles sont désorientées par une maladie neuro-dégénérative notamment. Le directeur d'une des maisons mobilisées m'a expliqué qu'il n'avait pas emmené une autre résidente partante en février, mais qui faisait état d'une désorientation trop importante quelques jours avant le départ.
Le consentement est au coeur de la "Loi d'adaptation de la société au vieillissement" qui vient de passer à l'Assemblée Nationale. Le renforcement du consentement soulève les doutes du Syndicat des maisons de retraite privées.
En fait cette notion de consentement nous interroge tous sur la liberté de choix des personnes très âgées, fragilisées et aussi vulnérables. Participer ou non à "La Parisienne" est aussi la question.