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Trouver son lieu de vie

Entretien avec Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Auteur Rédaction

Temps de lecture 5 min

Date de publication 10/03/2013

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Un regard extérieur est une garantie supplémentaire pour toutes les personnes, privées de liberté ou non”

Vous avez demandé que la loi étende vos compétences de Contrôleur général des lieux de privation de liberté aux établissements d’accueil pour personnes âgées. Pour quelles raisons ?

- Jean-Marie Delarue.
Avant tout, il ne s’agit pas d’une demande improvisée. D’abord il s’est écoulé neuf mois entre le moment où j’ai présenté l’avant-projet de loi au gouvernement et le moment où il a été rendu public. D’autre part, je l’ai fait après cinq ans d’exercice, maintenant que la méthode de nos visites est éprouvée. Je voudrais dire aussi que je n’ai jamais assimilé les EHPAD à des prisons. La loi qui a créé le contrôle lui a donné pour mission de s’assurer du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Je ne suis pas fondé à décréter que ces personnes âgées dépendantes sont toutes privées de liberté, en revanche, je dis que les risques d’atteinte à la liberté existent. Car ces établissements accueillent des publics fragiles en tentant d’opérer une synthèse entre deux exigences contradictoires : sécurité et liberté. Quand on apprend que des personnes âgées partent en promenade, se perdent et meurent victimes des intempéries, quand on entend la ministre déléguée aux personnes âgées évoquer la nécessité de bracelets de géolocalisation, tout cela m’interroge puisque je suis chargé de veiller à la prévention des atteintes aux droits fondamentaux. Sécurité et liberté, c’est à ce double titre que le Contrôleur général est concerné. Enfin, j’ajouterais qu’un regard extérieur est une garantie supplémentaire pour toutes les personnes, qu’elles soient privées de liberté ou non.

En quoi votre méthode d’appréhension des lieux de privation de liberté est-elle applicable aux maisons de retraite ?

J-M.D.
La loi est claire. Le contrôle général est chargé de prévenir les atteintes aux droits fondamentaux en vérifiant l’état, le fonctionnement et l’organisation des lieux visités. Après cinq ans d’exercice, nous avons mis au point une méthode qui nous parait applicable à tous les établissements où les notions de sécurité, de dignité et de liberté (ou de non-liberté) sont en jeu. Pour donner un exemple, dans un établissement de 600 places, nous y allons à 6 ou 7 et passons une semaine à dix jours. Le jour, mais aussi la nuit. Nous avons des entretiens confidentiels avec des personnes prises en charge qui nous ont sollicités et d’autres qui ne nous ont rien demandé. Nous parlons aussi avec les professionnels ; nous avons une conscience aiguë de leurs conditions de travail. En fin de visite, le rapport que nous établissons fait l’objet d’une procédure contradictoire tenant compte des remarques du chef d’établissement quant aux erreurs factuelles ou d’appréciation que nous avons pu commettre avant de remettre le rapport aux ministres concernés. Pour les 665 établissements visités à ce jour, nous avons eu le sentiment d’opérer dans le respect des droits de chacun.

Les EHPAD ne sont pas des prisons, mais vous estimez nécessaire de vérifier que les résidents n’y sont pas privés de liberté ?

- J-M.D. La question du consentement est centrale. Elle se pose à l’entrée – la personne âgée a-t-elle réclamé de quitter son domicile ? – et dans la vie quotidienne ensuite, lorsqu’il s’agit de soigner, de mouvoir, de nourrir les résidents. Cette question du consentement, nous la rencontrons dans les mêmes termes en hôpital psychiatrique : le patient a-t-il donné son accord pour y être soigné ? Peut-il avoir accès à un avocat ? etc. L’ouverture ou la fermeture des portes sont un autre point commun : dans les deux types d’établissements, les portes sont souvent fermées, la faculté d’aller et de venir n’y est alors que théorique. Quel espace faut-il laisser au résident pour que sa liberté, sa sécurité et sa dignité soient préservées ? C’est en ces termes que l’on visite un établissement et que l’on propose de visiter les EHPAD.

La géolocalisation des résidents attente-t-elle à leur liberté ?

- J-M.D.
Il faut réfléchir à cette question. Là encore, il s’agit de concilier liberté, sécurité et responsabilité. Une puce de géolocalisation assure la sécurité des résidents, certes pour leur bien, mais tous en ont-ils besoin ? La possible généralisation du procédé n’attenterait-t-elle pas à la liberté de ceux qui n’en ont pas besoin ? Il faut être très attentif à ces généralisations faites au nom de la sécurité sans réflexion éthique sur ce qu’elles empiètent de liberté et de droits fondamentaux. Nous rencontrons ces problèmes dans tous les types d’établissements que nous visitons. Notre travail est de prévenir les atteintes généralisées aux droits fondamentaux. La liberté n’est pas un mot creux gravé sur un mur, c’est une pratique quotidienne.


Prison, HP, EHPAD… la question de la maltraitance se pose-t-elle dans les mêmes termes ?

J-M.D. Non, pas dans les mêmes termes, mais en soi elle se pose. Lorsque l’on dit que la maltraitance est plus forte à domicile qu’en EHPAD, je ne sais pas répondre à cette observation, mais ce débat prouve surtout qu’on n’est pas totalement au fait sur la situation de ces établissements. L’état, l’organisation et le fonctionnement des EHPAD peuvent et doivent être contrôlés de manière préventive dans l'optique de préserver les droits fondamentaux des résidents. Nous pouvons apporter quelque chose en termes de bonnes pratiques. Par nature, nous sommes des propagateurs de bonnes pratiques. Les établissements doivent comprendre que nous sommes un outil à leur disposition.

Jusqu’où allez-vous dans la visite d’un établissement ?

- J-M.D.
Nous avons la capacité d’accéder à un établissement de manière inopinée, à toute heure du jour ou de la nuit. Nous pouvons visiter tous les locaux, nous entretenir avec qui bon nous semble de manière confidentielle et avoir accès à tous les documents dont nous avons besoin, sauf le dossier médical.

Quel est le statut de vos recommandations ?

- J-M.D. Nos recommandations s’adressent aux ministres. Nous pouvons également les rendre publiques au Journal officiel. Je ne dispose pas d’un pouvoir d’injonction et d’ailleurs je n’y suis pas favorable, je crois que la négociation donne plus de résultats que la contrainte.

Que pensez-vous de l’effroi du directeur d’établissement qui voit surgir une nouvelle tutelle au-dessus de sa tête ?

- J-M.D. Je le comprends. Il faudrait d’ailleurs que l’Etat équilibre mieux les autorités de tutelle quand elles sont trop nombreuses. Mais que le directeur d’EHPAD se rassure, d’abord nous n’avons, comme je viens de l’expliquer, aucune compétence ni même velléité d’être une « tutelle ». Nous ne secrétons aucune paperasserie d’aucune sorte avant ou pendant les visites. Nous ne sommes liés à aucun ministère puisque la loi nous a donné un statut d’autorité indépendante. Notre regard est donc extérieur. C’est pourquoi je dis que personne ne fait le travail que nous faisons. Nous pénétrerions au plus près de la relation résident- soignant et nous pourrions aider à révéler des bonnes pratiques autant qu’à faire surgir des pratiques qui, pour être banales, pourraient se révéler attentatoires à la liberté et à la dignité.

Voir aussi l'interview filmée de Monsieur Delarue

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