Euthanasie, arrêt de traitement, soins palliatifs et sédation de Bérangère Legros; Ed. Les Etudes Hospitalières
L’encadrement par le droit de la prise en charge médicale de la fin de vie
Après la mise en examen du Dr Bonnemaison, en août 2011, à Bayonne pour "empoisonnement sur personnes vulnérables, la journée mondiale pour le droit de mourir dans la dignité de ce 4 novembre et la conclusion du rapport de l'IGAS ce 18 novembre qui a conduit le ministère a engager une procédure disciplinaire, et à prononcer à titre conservatoire la suspension immédiate du médecin, l'euthanasie n'a pas fini de faire débat. Cet ouvrage, paru en novembre 2011, revêt une importance capitale.
La revendication du droit de disposer de sa vie est, de manière récurrente, portée sur la place publique, réduisant le débat à une option manichéenne, réduite à une alternative : souffrir ou « bénéficier » de l’euthanasie.
Or, la prise en charge médicale de la fin de vie a progressivement été encadrée par le droit. Un certain nombre de pratiques médicales, alternatives à l’euthanasie, existent et font l’objet désormais d’une transparence normative : les procédures de limitation et d’arrêt des traitements (LAT), instituées par la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 et ses décrets d’application, améliorées par le décret n° 2010-107 du 29 janvier 2010 ; les soins palliatifs, développés effectivement depuis la loi n° 99-477 du 9 juin 1999 et qui n’ont cessé de s’étoffer en particulier grâce au Programme national de développement des soins palliatifs 2008-2012 mais aussi par la création de l’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie (loi n° 2010-209 du 2 mars 2010) ; la sédation, introduite par le décret n° 2010-107 du 29 janvier 2010. Par ailleurs, le décret n° 2010-158 du 19 février 2010 a mis en place l’Observatoire national de la fin de vie qui participe de la volonté des pouvoirs publics de parfaire les besoins relatifs aux conditions de la fin de vie et des pratiques médicales qui s’y rapportent.
L’objectif de cet ouvrage est de dresser l’état des lieux sur la prise en charge médicale de la fin de vie par le droit en explicitant les rapports actuels du droit, tout d’abord avec l’euthanasie, ensuite avec les « protocoles » de la fin de vie, procédures de LAT, soins palliatifs dans lesquels il faut intégrer la sédation et, enfin, en s’interrogeant sur l’opportunité sociale d’instituer, « en complément », l’euthanasie ou le suicide assisté en droit français, en étayant notre réflexion sur les « systèmes juridiques » élaborés aux Pays-Bas, en Belgique, en Suisse, dans les États de l’Oregon et de Washington, ainsi que sur leurs mises en application.
Sous le terme "euthanasie" (au sens etymologique "façon heureuse de mourir") autour duquel on débat encore et encore sont mélangées trois attitudes ou pratiques différentes que l'auteur explicite dans la première partie de son ouvrage. Elle distingue clairement :
- l'administration de substance létales, pratique qui s'analyse sans équivoque en euthanasie,
- l'administration de morphine à hautes doses pour soulager la douleur physique qui relève des soins palliatifs par la prise en charge médicale de la douleur physique
- l'arrêt ou la limitation des techniques de réanimation ou refus de l'acharnement thérapeutique, qualifié dans la code de la santé publique d'"obtination déraisonnable". qui selon l'auteur ne peut être assimilée à une euthanasie car, précise Bérangère Legros, elle ne fait que restituer son caractère naturel à la mort.
Citant Marie de Hennezel dans son rapport "Fin de vie et accompagnement" (2003), l'auteur précise que cette source d'ambiguïté, sert de ressources stratégiques, chacun ayant intérêt à choisir la définition qui sert ses positions.
A partir de l'évolution sémantique du terme, l'auteur explicite dans une première partie la différence entre euthanasie passive et euthanasie active puis constate le paradoxe selon lequel l'euthanasie n'est pas une notion juridique concernant les êtres humains. Si la provocation au suicide est une infraction correctionnelle celà n'est pas, en théorie, le cas pour l'aide au suicide qui devrait rester impunie estime ensuite l'auteur. L'euthanasie est, quant à elle, réprimée au titre de l'homicide volontaire. La clémence dans la répression s'explique par différents éléments pris en compte sur le plan juridique.
L'euthanasie n'est pas seule alternative à la souffrance démontre Bérangère Legros dans la deuxième partie de son ouvrage. Des protocoles de fin de vie existent :
- les soins palliatifs, (méconnus et inappliqués parce méconnus aussi du corps médical)
- les procédure du "laisser partir" introduits par la loi "dite Leonetti" du 22 avril 2005 (Voir aussi "Mieux comprendre la loi Leonetti")
Enne définit ces protocoles dans un premier temps, puis s'interesse à leur consécration juridique et/ou déontologique, dans un second temps.
Doit-on réformer la loi pour "légitimer" l'euthanasie ou l'aide au suicide ? Doit-elle les instituer "en complément" des protocoles de la fin de vie existants ? interroge l'auteur. Les lobbyes pro euthanasie relancent régulièrement le débat mais les bases théoriques sur lesquelles s'appuient ces derniers ne relèvent-elles pas d'une utopie ? C'est ce à quoi s'attache l'auteur dans la troisième partie de l'ouvrage en s'aidant des expériences étrangères et par l'étude de leur système normatif légal ou jurisprudentiel. Sans prétendre à l'exaustivité, Bérangère Legros se penche sur les systèmes mis en application depuis un certain nombre d'années.
Cette analyse révèle que les systèmes ayant opté pour la légalisation ou la dépénalisation de l'euthanasie, voire de l'aide au suicide, se révèlent tous insatisfaisants ou dangereux. Elle rappelle alors que la Cour européenne des droits de l'homme par ses décisions, prises entre 2002 et 2011 s'est révélée très prudente de crainte des risques de dérives. A partir de là l'auteur appelle de ses voeux un débat Français qui se détache d'une position purement théorique et prenne en compte l'ensemble des paramètres.
Position théorique qui a conduit les pouvoir publics à maintenir le cap en faveur du développement des soins palliatifs ainsi que du perfectionnement de l'encadrement du laisser partir et l'introduction de la sédation dans le droit de la fin de vie.
Au sommaire
PREMIÈRE PARTIE - LES RAPPORTS ACTUELS ENTRE L’EUTHANASIE ET LE DROIT
I – L’analyse de la notion d’euthanasie : La confusion sémantique actuelle / L’histoire sémantique / Les pratiques à tort ou à raison qualifiées d’euthanasie
II – La répression de l’euthanasie et du suicide assisté en droit positif : L’euthanasie, une notion non juridique / De la provocation à l’aide au suicide / Une répression pénale au titre de l’homicide / La réalité de la répression pénale : une très grande modération / Les éventuelles conséquences juridiques d’une condamnation pénale
DEUXIÈME PARTIE - LES RAPPORTS ENTRE LES « PROTOCOLES » DE LA FIN DE VIE ET LE DROIT
I – Définitions des « protocoles » de la fin de vie : Les soins curatifs poussés à outrance : l’acharnement thérapeutique ou l’obstination déraisonnable / Les soins palliatifs / La limitation ou l’arrêt des soins demandé ou non par le patient / La sédation ou les périodes de sommeil provoquées pour soulager les souffrances
II – La consécration juridique et/ou déontologique des « protocoles » de la fin de vie : Des soins palliatifs / Refus, limitation ou arrêt des soins / La sédation / Les spécificités médicales et juridiques de la fin de vie de l’« enfant » en périnatologie
TROISIÈME PARTIE - SUR L’OPPORTUNITÉ SOCIALE DE RÉFORMER LA LOI
I – Éléments de droit comparé : Refus de traitement, expression anticipée de la volonté et recours aux mandataires de santé / L’assistance au suicide non médicalisée, une tolérance suisse / Techniques juridiques utilisées pour « légitimer » l’euthanasie / Les exemples de légalisation / La dépénalisation / Bilan de la recherche empirique en droit comparé
II – Les positions de la Cour européenne des droits de l’homme : de l’affaire Pretty à l’affaire Hass : Lorsqu’un pays ne reconnaît pas l’assistance au suicide, on ne peut déduire de l’article 2 un droit à la mort / Lorsqu’un pays tolère le suicide assisté, l’article 2 l’oblige à s’assurer de la réelle liberté de l’intéressé
III – Le débat en France : Motivations de la revendication d’un droit à la mort en France / Les diverses positions des instances en France sur un éventuel encadrement de l’euthanasie
IV – Le maintien du cap des pouvoirs publics : Une position ferme et courageuse : l’accompagnement jusqu’à la fin ou le développement de la culture palliative / Les propositions, en 2009, pour améliorer l’accès effectif aux soins palliatifs / La diffusion de la culture palliative
Bérengère LEGROS est maître de conférences à l'université de Lille 2 (Université Lille Nord de France-UDSL Droits et perspectives du
droit – LEREDS) et enseigne à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales dans le Master 2 Droit et politiques de santé.