Le médicament chez la personne âgée : bienfait et danger
Proposé par Bernard Pradines
Malgré les ombres récentes portées sur sa réputation jadis trop peu critiquée, le médicament représente un progrès considérable dans l’amélioration de la santé humaine. Aussi, comment ne pas être bouleversé par un accident grave lié à un acte thérapeutique dont la visée était la guérison ou, pour le moins, le soulagement d’un malade ou d’un blessé ? Les médecins se plaisent à répéter la fameuse phrase de leur illustre prédécesseur grec Hippocrate, ici prise en défaut : « primum non nocere » qui peut être traduite par « d’abord ne pas nuire ».
Faisons-nous peur : selon les études publiées sur ce sujet, ce sont environ 20 pour cent des hospitalisations des personnes âgées qui seraient motivées par un effet indésirable médicamenteux dont l’acronyme est « EIM » (1).
Votre médecin vous a prescrit un médicament. Dans l’immense majorité des cas, vous avez raison d’en attendre un bénéfice. Toutefois, ceci ne vous interdit pas, bien au contraire, de lire attentivement la notice. Si vos yeux ne vous permettent plus de lire, une autre personne devra y pourvoir.
Une vérification n’est pas un signe de défiance vis-à-vis de votre docteur. Les médecins sont des humains comme les autres. Je pense en savoir quelque chose : je suis médecin.
Certains éléments peuvent toujours passer inaperçus ou être oubliés, tels qu’une association malencontreuse avec un autre médicament ou, plus rarement, avec un aliment (interactions médicament-médicament ou médicament-aliment). Cette éventualité est d’autant plus grande que vous prenez de nombreux médicaments. Les personnes âgées peuvent aussi, plus aisément que les adultes jeunes, présenter un défaut d’élimination de ces substances, en particulier par faiblesse de la capacité des reins pour ce faire. D’autres facteurs liés aux modifications du fonctionnement des organes peuvent contribuer à une sensibilité accrue ainsi qu’à l’émergence d’EIM. Enfin, si la prescription médicamenteuse devient en général de plus en plus sûre, la risque zéro n’existe pas.
Parler des médicaments avec son médecin n’est pas pour autant empiéter sur des prérogatives indiscutables. S’interroger et le questionner sur la nécessité de poursuivre un traitement est une œuvre de bon sens. Par contre, l’interruption personnelle, unilatérale, d’un traitement prescrit peut être dangereuse car certains médicaments sont indispensables pour maintenir une bonne santé ou bien pour prévenir un risque bien identifié. D’autres substances ne doivent être supprimées que progressivement car il existe un risque de sevrage.
Les mesures non-médicamenteuses ne doivent pas être oubliées au seul profit du médicament : par exemple, sur indication médicale, un exercice physique adapté ou une alimentation plus saine auront souvent davantage d’impact positif que les comprimés ou les gélules, surtout dans le domaine de la prévention. La diminution ou l’arrêt de la consommation d’alcool et de tabac ne seront pas oubliés. Sans parler du sommeil trop souvent recherché à l’aide de médicaments présentant de nombreux EIM, en particulier chez la personne âgée.
Si aucune surveillance programmée n’est prévue pour un traitement exigeant une vérification régulière signalée sur la notice, par exemple l’INR (2) avec un médicament de la famille des antivitamines K (AVK), vous devez en prévenir votre médecin ou votre infirmière.
Dans les jours qui suivent la prise d’un nouveau médicament, vous présentez des symptômes inédits. Sur la notice que vous aurez conservée, une vérification de la liste des effets indésirables, toujours inquiétante chez le patient anxieux au point d’être parfois négligée, est utile en pareille opportunité. Avant tout, n’hésitez pas à consulter votre médecin : l’initiation de cette thérapeutique récente serait-elle en cause ?
L’automédication fait aussi courir des risques si elle n’a pas été envisagée avec un professionnel, médecin ou pharmacien. En effet, la possibilité d’erreur s’accroit du fait de cette méthode. La lecture de la notice, en particulier à la recherche d’interactions médicamenteuses, est indispensable. Sans compter la vérification des doses, l’horaire des prises, etc.
En toute éventualité, il convient de ne pas prendre un médicament destiné à une autre personne, même si cette dernière le vante à votre égard. On ne s’improvise pas aisément plombier ou maçon. De même, la prescription médicamenteuse est affaire de professionnels. Dans le doute, abstenons-nous !
Soyons méfiants envers toute publicité concernant ce domaine. Je suis atterré de voir vanter à la télévision des molécules potentiellement dangereuses avec l’hypocrisie d’une précaution énoncée verbalement à la vitesse de l’éclair ou encore d’une mention écrite à défilement rapide évoquant une éventuelle consultation d’un professionnel : une annotation illisible pour la plupart des personnes âgées.
Les médicaments achetés sur Internet sont à prohiber aussi souvent que la source de leur diffusion n’est pas clairement identifiée et reconnue par les autorités sanitaires. De plus, leur composition peut être frauduleuse. Et même : pour ne prendre que l’exemple de la publicité intensive de la « pilule bleue » (3), l’utilisation de celle-ci est fort dangereuse sans vérification cardiovasculaire incluant la redoutable prise concomitante de certains médicaments utilisés en cardiologie. Un principe simple : s’abstenir de cette modalité d’acquisition (4).
Vous ne savez pas si vous avez pris ou non un médicament. Dans le doute, mieux vaut sauter une prise médicamenteuse que prendre le double de la dose prescrite (5). Toutefois, certains médicaments ne doivent pas être interrompus. C’est le cas de substances dirigées contre l’épilepsie, l’asthme ou le diabète ainsi que des anticoagulants tels que les AVK. Dans le cas des AVK, si une prise a été oubliée, il est possible de l’effectuer dans un délai de 8 heures. Dans tous les cas, il ne faut pas doubler la dose du lendemain ! (4)
L’incertitude quant à la prise médicamenteuse ne devrait advenir qu’une seule fois. Après quoi, l’utilisation d’un dispositif tel qu’un pilulier devient indispensable. Mieux : au moindre doute sur votre vision, un tremblement important ou encore sur vos capacités de mémorisation, c’est un tiers fiable qui devra se charger de la préparation ou même de l’administration des médicaments. C’est une tâche fréquente des infirmier(e)s au domicile des personnes âgées souffrant de troubles dits cognitifs (6).
Lors de la visite à votre généraliste, il convient de citer les médicaments réellement absorbés, sans oublier ceux qui sont consommés hors prescription, « à la demande ». Il s’agit le plus souvent de médicaments contre la douleur (7) contenant du paracétamol ou une substance antiinflammatoire. Or, ces traitements dits antalgiques sont loin d’être dénués d’EIM. De plus, certaines situations pathologiques peuvent prédisposer aux accidents par ces substances; par exemple, les antiinflammatoires sont déconseillés chez des personnes présentant des maladies gastro-intestinales, cardiovasculaires ou rénales.
Si vous consultez un spécialiste, il n’est peut-être pas au fait de l’ensemble de vos maladies et de tous les médicaments que vous consommez. Surtout si le spécialiste ne s’enquiert pas de cette dimension, votre médecin généraliste sera utilement consulté car il possède une vision globale de votre situation.
Il va sans dire que des évolutions de l’industrie des médicaments sont souhaitables. Ainsi, le paracétamol contenu dans de nombreuses spécialités consommées à la demande, hors prescription, devrait être mieux identifié quant à sa présence dans des médicaments vendus sous des noms commerciaux non évocateurs, afin de prévenir les atteintes hépatiques liées au surdosage par redondance de cette substance (7).
Le rangement des médicaments doit obéir aux mêmes règles de sécurité que celles des autres substances toxiques. Trop souvent, des enfants y ont accès avec la tentation de les prendre pour des bonbons. L’éducation de nos progénitures devrait intégrer cette dimension, par exemple en ne qualifiant jamais de « bonbon » une thérapeutique médicamenteuse (4).
En somme, les accidents médicamenteux pourraient être grandement réduits en fréquence et en gravité si certaines précautions étaient mieux observées.
(1) Dans le jargon médical, on parle volontiers de « iatrogénie médicamenteuse ». Il est possible de lire aussi des expressions équivalentes telles qu’ « effets secondaires » ou « effets adverses ».
(2) INR : international normalized ratio.
(3) le sildénafil est commercialisé en France sous le nom de VIAGRA* dans l’indication des troubles de l’érection. Attention : d’autres médicaments appartiennent à la même famille.
(4) Kierzek G. 101 conseils pour ne pas atterrir aux Urgences. Editions Robert Laffont. Paris, 2014.
(5) Accidents de la vie courante. Comment aménager sa maison pour éviter les chutes ? Ministère de la Santé, Assurance maladie, Assurance retraite, INPES.
(6) En pratique, chez la personne âgée, il s’agit le plus souvent d’une maladie d’Alzheimer ou apparentée.